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Bouche d​é​cousue, le podcast

by Théâtre Bouches Décousues

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1.
Madame Chevreuil vivait dans une forêt où abondaient les pommiers sauvages. Elle adorait les pommes et en faisait une grande provision tous les ans. Pourtant madame Chevreuil avait l'œil triste. Il manquait quelque chose à son bonheur. Plus que tout au monde, elle désirait avoir un enfant. Chaque nuit, elle regardait le ciel en faisant le vœu d'être la maman d'un petit chevreuil bien à elle. Un soir d'hiver, alors que le ciel était picoté d'étoiles, la biche réitéra son souhait. Cette fois-ci, Grande Ourse lui répondit. — Pourquoi souhaitez-vous tant avoir un faon, madame Chevreuil? -Oui, pourquoi? ajouta la curieuse Petite Ourse. -Oh! Cela me rendrait si heureuse. Si j'avais un enfant, la vie serait plus douce qu'une pomme. Grande Ourse promit alors d'en parler à qui de droit. «Quidedroit! Mais qui est donc ce Quidedroit ? », se demandait madame Chevreuil. Au même moment, une étoile filante traversa le ciel. La biche s'empressa de lancer une pomme tout là-haut comme on jette une bouteille à la mer. Étonnamment, la pomme ne retomba nulle part... Cette nuit-là, madame Chevreuil s'endormit en rêvant qu'un petit faon l'appelait maman. Au matin, une douce chaleur sur son flanc la réveilla. Quelle ne fut pas sa surprise de voir, blotti contre elle, un faon si mignon avec ses taches blanches sur son pelage roux. Madame Chevreuil cligna des yeux, puis se mordit les babines pour s'assurer que ce n'était pas un rêve. Eh non! Il y avait bel et bien un bébé chevreuil à ses côtés. Elle le regarda de ses grands yeux de biche et se sentit fondre d'amour pour ce petit qui lui arrivait comme un cadeau du ciel. Elle leva les yeux au firmament, à la recherche de quelqu'un à remercier. Même si les étoiles n'étaient pas visibles, elle ne put s'empêcher de murmurer: - Merci, Grande Ourse! Et toi aussi, Petite Ourse! Madame Chevreuil cajola le faon et souffla sur lui pour le réchauffer de son haleine. - Attends... Quel sera ton nom? Noël? Noé? Nord... Nordet... Norbert ! C'est un joli prénom pour toi, mon enfant faon! Voilà! Tu t'appelles Norbert! - D'accord, dit le petit chevreuil. Et toi, tu t'appelles... maman! À partir de cet instant, la vie de madame Chevreuil fut complètement chamboulée. Elle qui avait si souvent l'air renfrogné était maintenant enjouée de l'aube jusqu'à la nuit tombée. Le petit Norbert découvrit la forêt qu'il sillonnait avec sa mère. Les premiers jours, il ne quittait pas sa maman des yeux et marchait dans ses traces. Très vite, il s'enhardit. Madame Chevreuil lui apprit à courir, à sauter par-dessus les buissons, à contourner les arbres et à se méfier des coyotes. Elle lui fit apprécier le goût des brindilles et des bourgeons, et lui indiqua où poussaient les baies et les pommes qu'elle aimait tant. Norbert avait l'esprit aventurier, il aimait gambader dans les sentiers et brouter avec les autres cervidés. Il rencontrait parfois des lièvres, des renards, des écureuils et des perdrix. Il eut un peu peur quand le porc-épic voulut l'embrasser, mais très vite, ils devinrent amis. Le petit chevreuil appréciait le chant des pics et des mésanges, mais il sursautait quand la chouette faisait entendre son gros «hou! hou!». Le printemps venu, la maman de Norbert lui montra le ruisseau où il pouvait s'abreuver, mais elle lui interdit de traverser de l'autre côté, là où vivaient les hommes. « Tu dois te méfier d'eux», disait elle. Pourtant Norbert ne pouvait s'empêcher de zieuter entre les branches pour voir comment vivaient ces bipèdes. Un soir, vers la fin de l'été, il ne put résister... Il traversa le ruisseau, les naseaux frémissants. Il s'approcha d'une ferme où il aperçut une fillette qui jouait. Dès qu'elle le vit, la petite tendit la main vers lui. Le faon allait faire un pas vers elle quand la chouette le ramena à l'ordre: -Hou! Hou! Norbert prit peur et s'enfuit en bondissant de l'autre côté du ruisseau. Ce soir-là, Norbert se remémora le sourire de la fillette et sa main tendue. Il aurait bien aimé l'approcher d'un peu plus près... L'automne était déjà là. À peine les pommes avaient-elles eu le temps de rougir que le vent et la neige arrivèrent. La toute première neige de l'année ! Norbert était si heureux de gambader dans cette blancheur cotonneuse. Il riait quand des flocons se posaient sur son museau humide et madame Chevreuil souriait, elle aussi, comblée par la joie de son enfant. Une nuit, Norbert fut réveillé par un bruit de clochettes. Il vit passer dans le ciel un traîneau, tiré par un attelage de rennes que conduisait un vieil homme. En un clin d'œil, Norbert fut sur ses pattes et suivit le traîneau qui s'arrêta sur le toit d'une ferme. Le vieil homme en descendit, se pencha au-dessus de la cheminée et s'y engouffra. Norbert s'enhardit jusqu'à s'approcher de la fenêtre de la maison. Il vit alors le vieux monsieur s'affairer autour d'un sapin illuminé. Le vieil homme s'en retourna ensuite à son traîneau et repartit dans le ciel en riant: - Ho! Ho! Ho! Norbert regardait avec envie ces rennes qui gambadaient dans le ciel avec le vieux monsieur. Celui qui était en tête avait le nez tout rouge et tout luisant. Quand ils furent hors de sa vue, le jeune chevreuil rentra chez lui, où il retrouva sa mère endormie. Il se promit d'ouvrir l'œil la nuit suivante mais... aucun traîneau en vue! Ni la nuit d'après. Ni l'autre qui suivit. Norbert en vint à se demander s'il n'avait pas eu la berlue... Il interrogea Grande Ourse. - Tu n'as pas rêvé, Norbert. Ça se passe une fois l'an, au moment du solstice d'hiver. -C'est la nuit la plus longue de l'année, précisa Petite Ourse. Norbert se promit d'être bien attentif quand reviendrait le solstice d'hiver. Tout doucement, les jours allongèrent et le soleil reprit des forces. Bientôt l'hiver céda la place au printemps. Norbert devenait de plus en plus fort et agile. Il perdait ses taches blanches de faon. -Comme tu as grandi, Norbert! disait madame Chevreuil. -Je ne suis plus un faon, maman. - Mais tu es toujours mon enfant. Tout l'été, Norbert explora la forêt avec ses amis. Il lui arrivait parfois de traverser le ruisseau pour retrouver la fillette de la ferme. Elle le guettait, elle aussi. Et tout doucement, ces deux-là s'apprivoisèrent. Ils échangeaient de longs regards, charmés, étonnés l'un par l'autre. Puis revint le temps des pommes. Un jour, la petite fille en offrit une à Norbert, qui s'approcha pour la cueillir dans sa main. La petite rit de la chatouille du museau sur sa peau, puis elle caressa délicatement le pelage de son ami. Bientôt, les jours raccourcirent, la nuit les grignotant toujours un peu plus. La neige arriva tôt cette année-là. Chaque nuit, Norbert observait le ciel. Le solstice approchait... La veille de Noël, madame Chevreuil demanda à Grande Ourse si elle ne pourrait pas offrir quelque chose à Quidedroit, qui lui avait tant fait plaisir en exauçant son vœu. - Hmm... dit Grande Ourse, je sais que les humains lui laissent souvent un verre de lait pour le remercier de sa visite. Hmm... renchérit Petite Ourse. Et aussi un biscuit. -Je n'ai rien de tout ça, dit madame Chevreuil. -Mais vous avez des pommes ! C'est pour cette nuit, lui confia Grande Ourse. -Oui, pour cette nuit, chuchota l'espiègle Petite Ourse. Mais où? Comment? Et quand? Norbert, lui, savait. Il avoua à sa mère que, malgré ses recommandations, il était allé chez les humains. Il lui raconta ce qu'il avait vu l'année dernière au solstice d'hiver. Mais madame Chevreuil hésitait... N'était-ce pas trop risqué? - Non, non, maman, sois sans crainte. Et Norbert entraîna sa maman vers la ferme. Par la fenêtre, ils virent la fillette qui accrochait un bas au manteau de la cheminée. Elle déposa ensuite un biscuit et un verre de lait près du sapin. Cette nuit-là, madame Chevreuil et son fils scrutèrent le ciel. Ils guettèrent longtemps, longtemps... La chouette veillait aussi. - Hou! Hou! Soudain, on entendit tinter des clochettes et une lueur scintilla au loin. Le traîneau apparut et s'arrêta sur le toit d'une maison, à l'entrée du village. Pendant que le vieux monsieur barbu distribuait ses cadeaux, Norbert et sa mère arrivèrent avec des pommes. Ils en offrirent aux rennes qui y croquèrent à belles dents. Celui qui avait le nez tout rouge et brillant était le plus gourmand. Il en mangea deux et puis une troisième et puis une quatrième et puis… Pouf! Le petit renne au nez rouge chancela sur ses pattes et... tomba dans les pommes! Le vieux monsieur était désemparé: l'attelage ne pouvait avancer sans son renne de tête pour le guider. Juste à ce moment, des étoiles clignotèrent au firmament. Norbert. ferma les yeux et fit un vœu. Puis il s'avança vers le vieux monsieur. - Moi, je saurais conduire l'attelage ! s'exclama-t-il. Le vieil homme se tourna vers la maman de Norbert. - C'est bien vrai, ça, madame? Votre petit pourrait m'aider à distribuer les cadeaux? - -Bien sûr ! dit madame Chevreuil. Partez sans crainte, je m'occupe de votre petit renne trop gourmand. - Tope là ! dit le vieux monsieur en posant une tuque rouge sur la tête de Norbert. Cette nuit-là, la petite fille de la ferme vit passer dans le ciel un traîneau mené par des rennes... et un magnifique chevreuil. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle reconnut son ami Norbert! Dans le ciel, au loin, Grande Ourse et Petite Ourse brillaient de tous leurs feux. Depuis ce temps, on trouve souvent une pomme dans les bas de Noël. Quant à l'orange... c'est encore un mystère!
2.
Il était une fois, un petit pommier qui vivait dans une vallée où poussaient des arbres et des plantes de toutes sortes. Chaque printemps, le petit pommier étirait ses branches et se couvrait de fleurs magnifiques qui parfumaient l’air. Ses voisins l’érable et le sapin ne pouvaient s’empêcher de lui dire : -Oh! Que tu es beau! Et comme tes fleurs sont délicates et odorantes! Mais le petit pommier n’était pas content de son sort. Il ne voulait pas être un pommier ! Lui, il aurait aimé être une rivière et couler dans la vallée. - Moi, si j’étais une rivière, je voyagerais et je serais heureux comme un poisson dans l’eau. Une rivière, c’est mouvant et émouvant. D’autres jours, il rêvait de devenir une montagne et de s’élever au-dessus du monde. - Moi, si j’étais une montagne, je dormirais la tête dans les nuages et je serais joyeux comme un oiseau dans l’air. Une montagne, c’est noble et solide. L’instant d’après, il imaginait qu’il était le soleil et qu’il réchauffait la terre de ses rayons. - Moi, si j’étais le soleil, je brûlerais de mille feux et j’aurais la lune et les étoiles comme amis. Le soleil, c’est puissant et lumineux. L’érable avait beau lui répéter que pommier il était, et pommier il resterait toute sa vie, rien n’y faisait. Le petit arbre n’acceptait pas sa condition. -J’aimerais être costaud comme toi, dit-il. Toi, tu es un géant et tu vois le bout de l’horizon. -Mais je ne donne pas de pommes, moi ! rétorqua l’érable. -Non, toi, tu donnes de l’eau sucrée au printemps. Et ton feuillage est flamboyant à l’automne. Son ami le sapin en restait baba. -Mais de quoi te plains-tu, petit pommier, tu es magnifique! -Pas autant que toi. Toi tu gardes tes épines toute l’année. Tu sens bon la résine. Alors que moi... Je fleuris mais ça ne dure jamais longtemps. -Évidemment, puisque tes fleurs sont la promesse des fruits à venir! dit l’érable. -Et cette année encore, tu donneras de belles pommes, d’ajouter le sapin. -Eh bien non, tu te trompes, monsieur l’érable. Et toi aussi, le sapin. Cette année, j’ai décidé que je ne donnerais pas de pommes, mais des fraises. -Des fraises! Qu’est-ce tu nous chantes là, petit pommier? lui dirent ses voisins en riant. -Vous verrez bien, répliqua le pommier renfrogné. La saison des fraises passa sans qu’aucun petit fruit rouge ne se soit montré le bout du nez sur les branches du pommier. Et le petit pommier dut admettre que cette fois encore, c’étaient des pommes qui s’annonçaient. -Bon, cette année, ça n’a pas été pour les fraises mais l’an prochain, vous verrez : je donnerai des pamplemousses! Parce que les pamplemousses, c’est bien mieux ! Pendant tout l’été, le petit pommier grommela en faisant pousser des pommes toutes rondes, vertes d’abord, puis rosées. L’automne venu, les pommes rougirent et devinrent croquantes et sucrées au grand plaisir des enfants venus les cueillir, juchés sur les épaules de leurs parents. -Regarde, papa, on dirait un arbre de Noël avec des boules rouges. (dit un enfant) -Regarde plutôt le joli sapin qui pousse juste là. On viendra le chercher en décembre pour en faire notre arbre de Noël. (dit le parent) Une fois la famille repartie, des pommes plein les poches et les paniers débordant, le petit pommier se pencha vers le sapin. -Tu as entendu ça! Tu seras leur arbre de Noël! -C’est formidable ! s’exclama le petit sapin tout vibrant de joie. Ils me couvriront de douceurs et de bougies. Il y aura tout plein de cadeaux à mon pied et les enfants auront les yeux pétillants. - Évidemment ce n’est pas à moi qu’une telle chance arriverait. Et en plus, je ne pourrai pas voir ça. Comme je suis un pommier, je dormirai quand décembre sera là. Tu vois bien que c’est nul la vie d’un pommier, grommela-t-il. -Tu n’as pas besoin de boules de Noël, toi, tes pommes sont les plus belles qui soient! Tu les fais si bien les pommes. Tu fais ce que nous, nous ne pourrons jamais faire ! Le petit pommier écoutait son ami le sapin, mais il restait sceptique et boudeur. -Allez, mon ami, je te raconterai tout, lui promit le petit sapin vert de plaisir. -Mouais... soupira le pommier, un peu jaloux. Le petit pommier se secoua, perdit son côté grognon en même temps que ses feuilles qui viraient au jaune, séchaient puis tombaient sur le sol. Quand le vent eut tout balayé et que la pluie et le froid eurent terminé leur travail d’automne, la neige arriva. -C’est bien vrai que tu me raconteras tout, au printemps ? dit le pommier d’une voix ensommeillée. -Je te le promets lui dit le sapin en le caressant d’une de ses branches. Allez, dors bien ! Bon hiver ! Bons rêves ! -Bon hiver à toi aussi! dit le pommier en regardant avec envie le sapin resplendissant tout près de lui. Et le petit pommier s’endormit profondément en imaginant qu’une étoile scintillait sur sa cime et qu’on déposait des cadeaux à son pied, tout près de ses racines. Ah oui, je serai un pommier de Noël comme on n’en a jamais vu. L’hiver étala sa blancheur sur la vallée. Le vent glacial traversait le pommier qui s’en moquait éperdument, lui qui, engourdi par le froid, rêvait qu’il était un arbre de Noël garni de boules multicolores, de guirlandes, de pamplemousses, de bonbons et de bananes. Dès les premières douceurs du printemps, le pommier s’éveilla, plus déterminé que jamais à devenir un arbre de Noël. Il s’étira longuement pour se sortir de son sommeil hivernal. -Bonjour, petit pommier, lui dit son voisin l’érable. Tu as bien dormi ? -Bonjour Monsieur l’érable. Oh ! je suis tombé dans les pommes dès l’arrivée du froid. Et les rayons du soleil m’ont réveillé en me chatouillant les branches. Il voulut saluer le petit sapin, mais ne le trouva pas près de lui. -Où est passé mon ami le sapin ? L’érable lui apprit qu’on était venu le cherche, en décembre, pour en faire un arbre de Noël. C’était fini maintenant pour le sapin. Sa vie d’arbre était terminée. Le pommier faillit retomber dans les pommes. Il ne pouvait pas imaginer que la vie d’un arbre de Noël puisse être si courte. Il pensait qu’une fois Noël passé, le sapin reviendrait vivre à ses côtés comme avant et qu’il lui raconterait tout! Il mesura le grand vide laissé par le petit conifère et, rempli de tristesse, le pommier ne voulut plus voir le printemps qui éclatait de toutes parts. Il n’avait plus envie de grandir. Il n’avait plus envie de rien. Il perdait goût à la vie et restait insensible à ce qui se passait autour de lui. C’est alors que la nature, inquiète, décida d’intervenir et de lui faire entendre raison. C’est le vent qui fit les premiers pas. Il se faufila dans les branches du pommier et le chatouilla d’une brise légère. Puis, il souffla des odeurs de résine pour le ramener à la vie. Frissonnant, le petit pommier repartit dans ses rêves. Il voulait maintenant imiter le vent et se glisser dans la plaine pour retrouver la trace du petit sapin coupé. Un roselin vint se poser sur une de ses branches et entonna, pour lui, son plus beau chant. Le pommier voulait maintenant devenir un oiseau pour chanter et voltiger dans le ciel. Et quand un lièvre frôla son tronc, il voulut, tout comme lui, courir dans la clairière. -Mais pourquoi donc veux-tu être quelqu’un d’autre? lui souffla le vent. -Pourquoi ne veux-tu pas demeurer un pommier ? lui chanta le roselin. -Et pourquoi ne veux-tu pas donner des pommes? lui demanda le lièvre. -Je désire ce qu’il y a de mieux au monde. Je veux être mieux qu’un pommier. -Ce qu’il y a de mieux au monde pour un pommier, c’est de faire des pommes lui dit l’érable. C’est ta tâche à toi. Rappelle-toi de ce que te disait le sapin : « Tu les fais si bien, les pommes, petit pommier. Tu fais ce que nous, nous ne pourrons jamais faire. » Voilà ce qu’il disait. Tu te souviens? Le souvenir des paroles de son ami raviva la peine du petit pommier. -C’est bien vrai, il me disait toujours que c’était ma tâche à moi, de faire les plus belles pommes. Et plus il pensait aux paroles du sapin, et plus la peine montait en lui. Il sentit la sève qui coulait dans son tronc et la vie qui circulait tout le long de ses branches jusqu’à ses racines étendues sous l’herbe. Il regarda ses amis qui lui apportaient leur soutien. Il sécha ses larmes et releva la tête. Alors que ses bourgeons trépignaient et éclataient sous le soleil printanier, il prit une décision. -D’accord, vous voulez des pommes ! Je vais vous en faire, moi, des pommes! De belles pommes rondes, rouges et croquantes. Dans chacun de mes fruits, il y aura la promesse d’un verger. Et si j’y mets tout mon coeur, je deviendrai un jour, un vieux pommier et je regarderai pousser mes petits-arbres. Cette année-là, le petit pommier fabriqua de belles pommes à la chair tendre et au coeur généreux, comme il les faisait si bien. Parce que c’était ce qu’il savait faire de mieux, des pommes. Et ce fut très bien ainsi. Rikiki kiki !
3.
Il était une fois une petite fille qui s’appelait Clotilde et qui habitait dans une grande ville. Très loin de là, vivait sa grand-mère, très loin au bord de la mer. Clotilde l’aimait beaucoup. Malheureusement, elle ne la voyait pas souvent. Cette année-là, pour son anniversaire, Clotilde eut une drôle de surprise : sa grand-mère lui rendit visite et lui offrit un joli poisson rouge. Clotilde le baptisa aussitôt Capuchon Tout le temps qu’elle resta chez sa petite-fille, grand-mère raconta des histoires. Elle parla de la mer, des énormes vagues qui venaient se fracasser sur les rochers, des falaises, du sable fin et des galets. Clotilde et Capuchon ouvraient toutes grandes leurs oreilles et leurs ouïes. -L’été prochain, viens donc passer tes vacances chez moi, dit grand-mère. Nous irons pêcher, nous baigner, ramasser des coquillages… Et nous construirons des châteaux de sable ! Clotilde se blottit contre sa grand-mère. Puis la grand-mère repartit chez elle, au bord de la mer. Les jours passèrent. La fillette et le poisson rouge devinrent des amis inséparables. Clotilde emmenait Capuchon partout où elle allait : il dormait sur sa table de nuit, il regardait la télé avec elle. Parfois, Clotilde l’invitait dans son bain, mais seulement quand il n’y avait pas de mousse et que l’eau n’était pas trop chaude. Et Clotilde comptait les jours. Et Capuchon rêvait, rêvait… Il rêvait de voir la mer. Bientôt, ce fut les vacances. -Youppi ! s’exclama Clotilde. -Bloup ! Bloup! fit Capuchon en virevoltant dans son bocal. Et zioum ! En route vers la mer ! Tchou! Tchou ! Dès leur arrivée, grand-mère les emmena à la plage. -Comme c’est grand la mer ! s’écria Clotilde. -Bloup ! Bloup! approuva Capuchon en ouvrant de grands yeux de poisson. Clotilde enleva ses chaussures et mit ses orteils à l’eau, sous l’œil jaloux de Capuchon qui aurait bien aimé, lui aussi, faire un petit tour dans les vagues. Le lendemain, Clotilde et sa grand-mère partirent pour le quai avec leur canne à pêche. -Qu’est-ce qu’il y a dans ton panier, grand-maman ? demanda Clotilde. -J’ai apporté des galettes au beurre pour la collation, dit grand-mère avec un sourire gourmand. Clotilde installa Capuchon à côté d’elle. -Regarde bien, chère enfant, dit grand-mère; tu mets un ver au bout de ton hameçon et tu lances ta ligne à l’eau. Si un poisson mord, tu tires la cordelette et tu sors ton épuisette. Pendant ce temps, Capuchon regardait la mer. Il était fasciné par cette immense étendue d’eau. Ah! La mer ! Capuchon en avait tant rêvé que, n’y tenant plus, il bondit hors de son bocal. Et… plouf! Dans l’eau ! Capuchon était heureux comme un poisson dans l’eau. Il s’émerveillait de tout ce qu’il voyait : des algues qui ondulaient, des coquillages qui brillaient, des reflets du soleil qui coloraient l’eau de vert, d’or et de bleu. Il rencontra des poissons nageant à la queue leu leu. Il y avait deux harengs, trois éperlans, un flétan, un bébé béluga, un poisson scie, deux poissons-chats… -Où allez-vous ? demanda Capuchon à trois esturgeons. -Nous allons faire de la plongée sous-marine au milieu des grottes. -Oh ! je peux vous accompagner ? -D’accord, mais ne traîne pas en chemin, le loup pourrait te manger, répondit un capelan. -Le loup ? Quel loup ? -Mais le loup de mer, voyons ! répondirent en chœur une sole et une sardine. -Ah ! Capuchon nageait derrière les morues. Il avait du mal à suivre ses nouveaux amis, lui qui n’était pas habitué aux courants marins. Soudain, un drôle de poisson sortit de derrière un récif de corail. -Hello petit poisson rouge ! Que fais-tu par ici ? On ne t’a jamais vu auparavant. -Je suis venu voir la mer, répondit Capuchon. -Oh! Tu es un petit touriste ! -Et toi, qui es-tu ? demanda Capuchon. -Je suis Loulou, le loup de mer. -Le loup de mer ? dit Capuchon, effrayé. -N’aie pas peur, je ne suis pas méchant. La preuve, c’est qu’on me trouve dans les meilleurs restaurants ! Ha ! Ha ! Ha! Ricana le loup en serrant les ouies de Capuchon. -Excusez-moi…je… je dois partir. -Attends ! Attends ! Faisons connaissance ! Je ne voudrais surtout pas que notre rencontre se termine en queue de poisson ! Ha ! Ha ! Ha ! -Comme vous avez de grands yeux ! -C’est pour mieux te voir, mon enfant ! répondit le loup. -Et comme vous avez de grandes ouies ! -C’est pour mieux t’entendre, mon enfant ! -Et comme vous avez une grande bouche ! -C’est pour mieux te manger, mon enfant ! J’adore les petits poissons ronds et rouges comme toi et j’ai une faim de loup ! Sur ces mots, le loup s’élança sur Capuchon qui, effrayé, se mit à nager le plus vite qu’il put. -Bloup ! Bloup ! Au secours ! Le loup me poursuit ! Bloup! Capuchon se cacha derrière une algue. Mais le loup rusa. Il s’avança à pas de loup et, Hop ! il ne fit qu’une bouchée du petit poisson ! Le loup se pourléchait encore les babines quand une crevette passa par là. -Quelle horreur ! J’ai vu un ver de terre qui pendouillait au bout d’une ligne. -Un ver de terre ! Quel magnifique dessert ! pensa le loup. Et, se précipitant sur le ver, sloup ! Il l’avala d’un seul coup ! Aussitôt, le loup hurla de douleur. -Aouhhhhh ! Aouhhhhhh!... -Tu t’es fait avoir, mon loup ! dit un homard qui avait tout vu. Le loup de mer n’eut pas le temps de riposter. Il fut tiré hors de l’eau. Clotilde le recueillit dans l’épuisette qu’elle tenait bien solidement. -Un loup de mer ! s’exclama grand-mère. On a pêché un loup de mer, Clotilde ! Clotilde était fière d’avoir attrapé un si gros poisson, mais bien triste d’avoir perdu son petit Capuchon. Aussi, quand grand-mère ouvrit le ventre du loup de mer, quelle ne fut pas leur surprise d’en voir sortir Capuchon ! -Capuchon ! Mon petit coquin ! Moi qui croyais que je ne te reverrais plus jamais ! -Bloup ! Bloup ! Glouglou ! répondit Capuchon, tout tremblotant. Ce soir-là, pour le souper, Clotilde et sa grand-mère se régalèrent en mangeant le loup de mer. Capuchon, lui, l’œil rond et content, riait sous cape. Il avait vu la mer, mais il était bien heureux de retrouver la rondeur de son bocal ! Bloup ! Bloup !
4.
Il était une fois un petit loup qui s'appelait Chapeau. Sa mère s'appelait Chapelle et l'accompagnait souvent au parc. Elle avait peur qu'il s'égare et qu'il ne retrouve plus son chemin. Un jour elle lui dit : - Chapeau, aujourd'hui, je ne peux pas me rendre au parc avec toi. - Alors je vais y aller tout seul. -Mais tu sais, il faut traverser des rues pour arriver au parc. - Je sais, je sais, et j'attends que la lumière soit verte, et je regarde comme il faut avant de traverser la rue, et je ne parle pas aux gens que je ne connais pas, et je suis très très prudent! répondit le petit loup en un seul souffle. Chapelle était bien contente de constater que Chapeau était au courant de toutes ses recommandations. - Chapeau, est-ce que tu sais ce que c'est un mot de passe ? - Oui, c'est comme un secret qui protège. - C'est ça, alors écoute bien... …si jamais quelqu'un te demande de venir avec lui, pour n'importe quelle raison, et qu'il ne connaît pas le mot de passe, alors tu n'y vas pas. Tu as bien compris? - Ouí maman, je ne vais avec personne qui ne connaît pas le mot de passe. Et le petit loup chuchota un mot de passe à l'oreille de sa mère, il l'embrassa... ...et il partit seul pour le parc. Chapeau marcha pendant une minute, deux minutes, cinq minutes et il arriva au parc. - Je suis capable d'aller au parc tout seul! dit le petit loup aux oiseaux qui piaillaient. Il s'amusa avec ses amis, puis il retourna à la maison tout seul comme un grand loup. Le lendemain, Chapeau retourna au parc tout seul... et le surlendemain… et pendant des jours et des jours. Un jour, alors que Chapeau s'amusait tout seul, un monsieur loup s'approcha. - Bonjour petit loup, dit le monsieur loup en souriant de toutes ses dents. Chapeau ne répondit pas. Le monsieur loup regarda autour. Personne. Il se rapprocha. - Est-ce que le chien t'a mangé la langue ? - Je ne te parle pas, je ne te connais pas. - Ah que c'est triste un petit loup si impoli… aaaaahhhh... moi qui voulais te donner des bonbons. Petit loup est surpris de voir le monsieur loup pleurer. Il hésite puis il dit : -Non, je ne veux pas de tes bonbons, laisse-moi tranquille. - C'est ta mère qui m'envoie te chercher. -Quel est le mot de passe ? - Le mot de passe ? euh... quel mot de passe ? ah oui, attend... euh... euh... Tire la bobinette ! - Non, répondit le petit loup. - Abracadabra. - Non. - Sésame ouvre-toi. - Non. - Ah zut, j'ai oublié... mais crois-moi, c'est bien vrai. Petit loup prend son sifflet et il siffle trois coups, quatre coups, cinq coups... -Eh! Pourquoi fais-tu tant de bruit? Tu vas attirer l'attention. Chapeau ne répond pas et il continue de siffler, de siffler. Le Monsieur loup essaie d'enlever le sifflet au petit loup. Petit loup court, court et il siffle, siffle toujours. Le monsieur loup le poursuit... Et tout à coup, des dizaines de petits loups accourent avec leurs sifflets. Ce sont les amis de Chapeau. Le gros loup arrête de courir après le petit loup et il se sauve loin, loin... Petit loup l'a échappé belle. Mais il est content que ses amis l'aient entendu. Il est content parce qu'il a bien réagi. Et toc!
5.
Il était une fois un petit ours qui habitait dans une forêt avec ses parents. C’était un ourson sympathique, plutôt mignon, pas trop grognon, amateur de champignons et de bonbons. Mais le petit ours s’ennuyait. Un après-midi, alors qu’il se promenait, il aperçut une fillette qui jouait près d’une épinette. L’ourson se cacha pour l’observer. La fillette portait des lunettes, une casquette et une jupette. Près d’elle, deux grandes personnes cueillaient des fraises. Ils appelaient la petite « Juliette ». Comme c’était joli, une Juliette. Au bout d’un moment, les trois montèrent dans une voiture qui démarra dans un bruit d’enfer. Même s’il avait très peur, l’ourson courut derrière l’auto pour rattraper la Juliette. Mais ses petites pattes ne pouvaient pas aller si vite… L’ourson s’assit tristement au milieu du chemin, il reprit son souffle puis il rentra chez lui, la tête basse. Ses parents lui demandèrent pourquoi il avait cet air tristounet. L’ourson leur répondit qu’il voulait une Juliette. –Une Juliette! Qu’est-ce que c’est, une Juliette? Et il leur expliqua qu’une Juliette c’était comme une ourse sans poils qui marchait sur deux pattes et qui accrochait de drôles de petites vitres devant ses yeux. Et puis, une Juliette portait aussi une casquette et une jupette. Toute la journée, le petit ours parla de Juliette. À la nuit tombée, lorsque ses parents le mirent au lit, l’ourson demanda une Juliette. Papa et maman ours lui racontèrent une histoire. Mais le petit ours réclamait encore une Juliette… Alors ils embrassèrent tendrement leur petit. Mais l’ourson souhaitait toujours une Juliette… Alors ils lui chantèrent une berceuse. Quand le petit fut enfin endormi, les parents se regardèrent, embêtés. Où pouvait-on trouver une Juliette? Pour son anniversaire, l’ourson reçut des lunettes, une casquette et une jupette. Vite il s’empressa de retourner les vêtements en tous sens, mais il avait beau regarder, il n’y avait pas de Juliette dans le costume. Alors, le petit ours mit ses lunettes, sa casquette et sa jupette et il partit à la recherche de sa Juliette. Il marcha longtemps, longtemps, et finit par arriver à la ville. Il était si étonné de tout ce qu’il voyait autour de lui–les édifices, les voitures, les rues - qu’il faillit se faire renverser par un camion. Il entra dans une boulangerie. –Bonjour, petite! s’exclama le boulanger. Tu passes bien tôt l’Halloween. Comment t’appelles-tu ? –Ju-li-ette! dit le petit ours. –Tiens, Juliette, ces bonbons sont pour toi. L’ourson regarda autour. Il n’y avait pas de Juliette ici. Alors il sortit de la boulangerie et il avala tous les bonbons d’un seul coup! Sloup! Puis, il aperçut des Juliette dans la vitrine d'une boutique. Il entra. C'était un magasin de vêtements d'enfants. - Bonjour, tu cherches quelqu'un? demanda la vendeuse. -Ju-li-ette! répondit le petit ours. - Ah! Je regrette, ma belle, Juliette ne travaille pas aujourd'hui. L'ourson s'approcha des Juliette de la vitrine. Ce n'étaient pas de vraies fillettes, mais des mannequins de plâtre. Déçu, il sortit de la boutique et marcha dans la ville. Il se sentait de plus en plus seul. Où donc étaient les Juliette? Soudain, son cœur se mit à battre très fort. Plus loin, il y avait une école. Des enfants costumés jouaient dans la cour. Tout joyeux, il courut vers eux. Il joua avec une Juliette habillée en sorcière qui lançait un ballon rouge au ciel. Le petit ours attrapa le ballon, mais avec ses griffes il le creva. La sorcière se mit à pleurer. L'ourson était tout à fait désolé et restait là, désemparé. Un enfant déguisé en squelette vint consoler la sorcière. Le petit ours s'éloigna tristement. C'est alors qu'une fillette habillée en lapin s'approcha et lui tendit une carotte. Elle portait des lunettes, une casquette et une jupette... Le cœur du petit ours s'emballa. -Ju-li-ette! Ju-li-ette! dit l'ourson en prenant la fillette dans ses bras. Il lui fit un gros câlin, se roula en boule, pirouetta, sauta, dansa autour de l'enfant-lapin. La petite, étonnée, se mit à rire, tout heureuse de trouver un ami aussi enthousiaste. Le petit ours ne quitta pas l'enfant-lapin d'une semelle. Après l'école, il la suivit jusque dans sa maison. - Comment t'appelles-tu? demanda la maman à l'ourson. - Ju-li-ette, répondit-il. - Tu as un très beau costume d'ours, Juliette, dit le papa. Puis on passa à table. L'ourson avait faim: il mangea tout le contenu de son assiette et il vida un pot de miel. Le soir tombait tout doucement. L'ourson ressentit soudain une petite tristesse. Il pensait à son papa et à sa maman qui s'inquiétaient sûrement pour lui. La fillette l'invita à jouer dans sa chambre, et c'est alors que l'ourson aperçut une toute petite Juliette sur le lit. -Ju-li-ette! Oh! Ju-li-ette! fit-il, émerveillé. - Tu aimes ma poupée? dit-elle en la lui tendant. L'ourson prit délicatement la poupée entre ses pattes; il la berça et l'embrassa. Toute la soirée, il la garda sur son cœur. Tout à coup, on entendit des grattements et des grognements à l'extérieur. Le père ouvrit la porte et deux gros ours apparurent. - Bonsoir. Quelle bonne idée de vous être déguisés en ours comme votre Juliette! Nous aurions dû nous costumer en parents-lapins, nous aussi. Tout heureux, le petit ours se jeta dans les pattes de ses parents. Puis il leur montra la poupée. Papa et maman ours sourirent. Il était bien débrouillard, leur ourson. Il voulait une Juliette? Il avait trouvé une Juliette! Mais il était temps de rentrer à la maison. Le lapin et l'ourson s'embrassèrent tendrement. — Je te donne ma poupée. Bonne nuit, Juliette! — Ju-li-ette! répéta le petit ours qui grimpa sur le dos de son papa. Et les trois ours partirent en direction de la forêt. Cette nuit-là, l'ourson s'endormit en serrant dans ses bras la poupée Juliette qu'il emporta dans ses rêves. La fillette, elle, ne revit plus son ami l’ours. Pour la consoler, ses parents lui offrirent un ourson en peluche qui ne la quitta plus jamais, jamais.
6.
Il était une fois un sorcier et sorcière qui vivaient dans un vieux château peuplé de chauves-souris, de lézards et d’araignées. Ils avaient tout pour être heureux : ils étaient très vilains, leurs marmites débordaient de ragoûts infects et visqueux, et la bave de crapaud coulait à flots. Mais la sorcière et le sorcier étaient tristes parce qu’ils n’avaient pas d’enfants. Une nuit sans lune, la sorcière mit enfin au monde une enfant qu’il prénommèrent Gratelle. Au comble de la joie, les parents décidèrent de faire une grande fête et d’inviter tous les affreux du royaume. Six sorcières furent désignées pour être les marraines de l’enfant. Au jour dit, les invités se présentèrent. L’atmosphère était chargée de nuages noirs, une pluie torrentielle déferlait et des éclairs zébraient le ciel, suivis de terribles coups de tonnerre. C’était magnifique! Sur le coup de midi, alors que la fête battait son plein, les sorcières défilèrent devant le berceau de la petite Gratelle et lui jetèrent des sorts. –Tu seras bossue et couverte de verrues poilues! dit la première. –Tes dents seront cariées et tu mordras très fort en plus! dit la deuxième. –Tu sentiras très mauvais et toujours on te dira « tu pues »! dit la troisième. –Tes doigts seront tordus et griffus! dit la quatrième. –Ton nez sera crochu et ton menton fourchu! dit la cinquième. Au moment où la sixième sorcière allait jeter son sort, un rayon de soleil illumina le château et une odeur de roses envahit la pièce. Les sorcières se couvrirent les yeux et se pincèrent le nez, l’une d’entre elles se cacha derrière une colonne. La reine fée, toute belle et toute blanche, fit son entrée. —Vous n’avez pas cru bon m’inviter et pourtant je tenais, moi aussi, à offrir un présent à l’enfant nouvellement née. — On ne veut pas de tes cadeaux. Fous le camp! Mais avant que les sorcières aient pu l’en empêcher, la reine fée fut près du berceau. – Petite Grattelle, quand tu auras atteint l’âge de seize ans, tu te piqueras le doigt à une aiguille de machine à coudre et tu deviendras la plus douce, la plus jolie, la plus charmante des princesses. À la mousse toup toup lala tousse pout pout… Elle toucha le berceau de l’enfant de sa baguette magique et une pluie de pétales de rose descendit sur elle. –Au revoir, mes chéris! Amusez-vous bien… dit-elle en s’envolant. Les parents étaient désespérés, les sorcières du royaume, dégoûtées. C’est à ce moment que la sixième sorcière, sortant de sa cachette, bouscula tout le monde et hurla : –Hé! Hé! Hé! On se calme! Je n’ai toujours pas jeté mon sort, moi! Tous les regards se tournèrent vers elle. Un noir silence envahit la salle du trône. La sorcière s’avança près du berceau, cracha par terre et dit de sa vilaine voix : –Je ne peux pas défaire ce que la reine fée a souhaité, mais je peux le modifier. Grattelle, quand tu auras atteint l’âge de seize ans, tu te piqueras le doigt à une aiguille de machine à coudre et tu te transformeras en princesse charmante, puisqu’il doit en être ainsi. Mais, dès la nuit tombée, tu redeviendras la sorcière que tu as toujours été. À la pousse pout pout lala tousse pout pout … Hue! Un vent alors se déchaîna, chassant du coup et les pétales de rose, et l’odeur de fleurs. Une chouette hulula au loin et les festivités reprirent. Quelque peu rassurés, le sorcier et la sorcière ordonnèrent de détruire sur le champ toutes les machines à coudre du royaume sous peine de bisous et de guili-guili. La petite Grattelle grandit en bêtise et en laideur et fit la joie de ses parents. Chaque jour, on la voyait jouer avec les vers de terre, se rouler dans la boue, patauger dans la mare. Son nez et son menton s’allongeaient et se couvraient de verrues poilues. Avec ses horribles dents pointues, elle mordait tout ce qui bougeait. Ses parents, couverts de bleus, étaient ravis: jamais on n’avait vu plus vilaine petite sorcière à des lieues à la ronde. Le jour de ses seize ans, Grattelle jouait salement dans le marécage avec les seize crapauds qui ornaient son gâteau d’anniversaire, quand une couleuvre lui passa sous le nez. Elle voulut l’attraper pour en faire une collation, mais la couleuvre disparut rapidement sous une pierre. Grattelle poussa la roche, et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir l’entrée d’une grotte! Intriguée, la jeune sorcière s’avança dans le noir. Peu à peu, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et elle distingua, tout au fond, une sorte de table sur laquelle était posé un objet qu’elle n’avait jamais vu auparavant… une roulette, du fil, des fuseaux et une petite chose qui brillait tout au bout. Elle approcha son doigt et se piqua à l’aiguille. Elle sentit une transformation dans tout son être. Ses cheveux devinrent doux, et sa voix, et sa peau.Tout n’était plus que douceur en elle. Elle poussa un cri d’horreur et s’évanouit. Le cri se répercuta de par tout le royaume et parvint aux oreilles de ses parents qui se précipitèrent à la grotte. Ils trouvèrent leur fille métamorphosée en princesse, près d’une machine à coudre. Ils n’arrivaient pas à croire que cette beauté parfumée était leur petite sorcière. *********************************************************************************** À la tombée du jour, Grattelle redevint la sorcière qu’on avait toujours connue, mais dès l’aurore elle reprit la forme d’une princesse. Les jours passèrent. Et les nuits aussi. Et tous les matins, Grattelle se métamorphosait en ravissante princesse et, tous les soirs, elle reprenait son allure de vilaine sorcière. Un jour, alors que Grattelle chantait tristement près d’un marais, vint à passer un ogre à dos de dragon. –Oh! La jolie princesse que voilà! dit-il. Allez, hop ! Je t’enlève et je te mange pour mon souper. Grattelle eut beau répliquer, crier, supplier, rien n’y fit. L’ogre l’emporta dans son château sur son dragon hideux et la jeta dans un cachot. –Ne crains rien, ma belle, tu ne moisiras pas longtemps ici. Juste le temps de chauffer mes casseroles et je te sors de là. Et je te mange! Ha, ha, ha! Puis, d’excellente humeur, l’ogre alluma le feu. Et tandis qu’il préparait son repas du soir, le jour achevait sa course… Dans le cachot près de Grattelle, dormait un troll d’une laideur sans pareille. Dès qu’elle le vit, Grattelle en tomba amoureuse. Elle l’embrassa sauvagement. Aussitôt, il se réveilla, furieux. –Comment t’appelles-tu? lui demanda-t-elle. –Marcel, gronda-t-il, et je déteste les baisers. –Marcel, veux-tu m’épouser? dit Grattelle. –Tu n’es pas mon genre et je n’aime pas beaucoup les princesses. Et, de toute façon, tu finiras dans une marmite, grommela-t-il en pointant l’ogre qui se léchait les babines. -Fais-moi confiance, mon mignon! lui lança-t-elle juste comme l’ogre ouvrait la porte du cachot. –C’est maintenant l’heure de ma princesse aux petits pois, chantonna l’ogre en lui montrant la marmite fumante où il venait de jeter sept boîtes de petits pois en conserve. –Libère-moi, l’ogre, ou tu le regretteras. L’ogre éclata d’un rire tonitruant. –Crois-tu vraiment me faire peur, ma jolie? –Libère-moi, te dis-je, ou c’en est fait de toi! L’ogre rit de plus belle. Mais voilà que le soleil se couchait à l’horizon. Grattelle reprit enfin sa forme de sorcière. Elle griffa et mordit l’ogre qui demanda grâce. Mais elle n’eut aucune pitié et le jeta dans la marmite où il mijote encore à l’heure qu’il est. Dès qu’il la vit sous son vrai jour, Marcel bondit sur ses pieds. –Ciel, que tu es laide! Tu es la plus vilaine sorcière qu’il m’ait été donné de voir. Oh Oui! Je t’épouse, ma sorcière bien aimée! Grattelle fonça vers lui et le mordit tendrement. Marcel et Grattelle prirent possession du château de l’ogre. Ils firent fortune en faisant l’élevage de dragons. Ils vécurent heureux et eurent de nombreux petits crapauds. À la mousse toup toup Lala tousse pout pout.

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Jasmine Dubé écrit et raconte des histoires pour les enfants. Elle aime les faire rire, réfléchir et surtout rêver !
Dans ce podcast, avec sa voix chaude, Jasmine nous transporte dans un univers où la tendresse se mêle à l’humour et où les contes classiques prennent une tournure inédite!

Derrière ses histoires pleines de poésie, Jasmine Dubé aime aborder des sujets qui aident à grandir : la différence, l’amitié, l’intimidation, la confiance… Un podcast à écouter sans modération! -- BOUCHE DÉCOUSUE EST FINALISTE DU PRIX NUMIX --

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released May 12, 2022

Texte et Narration : Jasmine Dubé | Musique : Christophe Papadimitriou | Montage et création sonore Antonin Wyss | Production : Théâtre Bouches Décousues

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Théâtre Bouches Décousues Montreal, Québec

Le Théâtre Bouches Décousues (TBD) est une compagnie québécoise de recherche et de création dramaturgique créée en 1986 par Jasmine Dubé et Marc Pache.

Depuis sa création, TBD a produit, vingt-neuf spectacles, joué près de 4000 représentations qui ont rejoint plus d’un million de personnes au Québec, au Canada, en Europe, aux États-Unis
et en Asie.
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